Parfois on entend ça. Parfois on
entend cette exclamation qui crie.
Une exclamation qui comprend
toute une tragédie.
Une exclamation qui fend.
C’est presque toujours la même.
En deux mots "Mon sac !" .
C’est dit par une femme.
C’est une femme qui vient de
perdre son sac.
Ou bien il lui a été volé, ou
bien elle l’a oublié quelque part.
Peu importe, le résultat est le
même.
Il y a encore une minute ou une
seconde, elle l’avait, et voilà qu’elle ne l’a plus.
Dedans, il y avait tout son
monde.
Il y avait son rouge à
lèvres, usé à sa manière à elle de le
poser sur sa bouche. Il y avait un miroir de poche. Du doliprane ou du spasfon,
là depuis tellement de lustres que l’aluminium de la plaquette en était tout
fané. Des grains de sable arrivés là d’une bourrasque à la mer.
Il y avait de la poussière. Oui
mais c’était la sienne. Un livre à sa moitié.
Un carnet. Un stylo. Un
téléphone avec ses numéros et ses loteries.
Des grigris. Des mots pliés en
quatre. Des photos
des aimés. Des superstitions.
Son portefeuille. Des sous. Des
tickets de caisse inutiles. Et ses papiers, avec dessus son visage. Peut être
son passeport avec les seaux des voyages.
Il y avait ses clés, avec leurs
bijoux de clés. Il y avait ses clés qui ouvrent ses portes.
Dedans, il y avait tout. Dedans
il y avait tout ce trésor. Cet irremplaçable dont elle ne sait se passer même
pour une journée.
La femme est une nomade. Et elle
pourrait refaire sa vie juste là où elle poserait ce bagage du quotidien.
Et elle ne l’a plus. Elle pousse
ce « Mon sac ! « , d’une voix blanchie, d’un souffle essoufflé par
l’irréparable. Ces deux mots le font exister encore un peu, ce sac. Ces deux
mots sont dits, oui mais ça ne change rien.
Et c’est sa détresse qui se fait
de la place.
Elle est là, les mains vidées,
sans plus aucune anse à tenir, sans ces gestes familiers,
dépossédée de ce repère,
dépossédée dans l’instant de ce témoin de son identité.
Démunie, dépouillée, dénudée.
Et ce sac, elle n’en
connaîtra plus sa suite. Quelqu’un
d’autre va fouiller dedans, quelqu’un d’inconnu va mettre ses doigts dans cette
intimité, et va en éparpiller ce contenu.
Et cette accumulation nécessaire
qui s’éloigne, va devenir des choses éparses qui ensemble la racontaient, qui
séparées sont anonymes.
Elle rentre chez elle avec ce
qu’elle a sur le dos, avec ce qu’elle a dans les poches, et avec son nom qu’elle
porte. Elle pourrait se croire allégée, elle pourrait se croire libre.
Mais elle n’en a que les bras
ballants, vacants.
Quelque chose manque à l’appel.
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